L’âge d’or de la vallée de Frizet

à l’époque de l’abbé Rase.

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Frizet vers 1844. De gauche à droite : 1 étang, ancien réservoir du fourneau à plomb ; 2. Chapelle Saint-Roch ; 3. Ancienne école de la fondation Rase, ; 4. Église paroissiale Saint-Martin ; 5. Ancienne maison d’Adrien Rase ; 6. Ancien presbytère et dépendances ; 7 . toits du château-ferme ; 8 . Calvaire.

Comment un petit hameau perdu au sein de la campagne  a-t-il pu, fin XVIIIème et dans la première moitié du XIXème, se transformer en une riche vallée, couverte de bâtiments prestigieux ?

 A la fin du XIXème, en plus de l’église , ses trois cimetières et de la ferme, on trouvait en effet le presbytère , le couvent et la chapelle, avec des granges, la «  maison neuve », qui abritait le marguillier , la «  maison aux arcades », la chapelle St Roch ( 1826), le bâtiment des écoles ( 1834), le calvaire, le fornia et son lavoir ( 1731) .

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Avec un parc aménagé, des vergers, des promenades, une cascade.

Les éléments pouvant expliquer une telle transformation sont probablement les suivants :

  1. Frizet était l’église mère d’une région beaucoup plus large, couvrant
  2. Une région agricole assez riche
  3. Mais surtout un bassin minier et industriel très important, avec de nombreux ouvriers et quelques riches entreprises
  4. Et également une personnalité assez exceptionnelle, l’abbé Rase.

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carte postale de 1928 . De gauche à droite, la chapelle et le couvent carmélite (construits au début du XIXème par les sœurs carmélites de Montpellier, exilées à Vedrin). Au centre le presbytère et à gauche la maison du maguiller actuellement quasi détruite…. A l’avant plan, sur le site de l’actuel Ravel, la ligne de chemin de fer construite en 1869.

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Même époque, vue latérale. De gauche à droite , la chapelle, le presbytère, la maison de l’aumônier du carmel , et les granges..

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Jusqu’au XIXème siècle, l’église St Martin de Frizet fut l’église «  primitive »  de toute une région, entre Namur et Eghezée, région globalement plutôt agricole. Dans les villages de Vedrin, Champion et Warisoulx, il y avait des vicaires qui dépendaient du curé de Frizet dès le XVIIème siècle. Les baptêmes, mariages et enterrements se célébraient tous à Frizet.

Mais Frizet était également le centre de toute une vallée industrielle, avec ses mines de plomb et de pyrite, dont les galeries sont encore exploitées aujourd’hui pour en retirer de l’eau (Vivaqua). Une activité industrielle très importante : en 1794, les mineurs de Vedrin firent grève : ils refusaient d’être payés en assignats républicains français, face à la cherté du blé. La mine de plomb était alors la plus importante de Belgique, elle occupait plus de 200 ouvriers. En trois mois, elle avait fourni 64 tonnes de plomb à la France, un produit important pour l’armement. En 1838, la mine de plomb de Vedrin s’étendait jusqu’à la vallée de Risles, à St Marc, où l’on trouvait également une mine de fer et quatre usines minéralurgiques, appartenant au duc d’Aremberg et servant au traitement du minerai de plomb.  En 1896, on y dénombre une forge, une fabrique d’acide chlorhydrique employant 15 ouvriers, une fabrique d’engrais chimiques où travaillaient 40 ouvriers et au total, 24 entreprises occupant 205 personnes.

 C’est donc dans ce contexte, celui d’une église importante à cheval sur une région agricole riche , mais également sur le plus important bassin industriel de Belgique à cette époque, qu’est arrivé à Frizet en 1780 un prêtre originaire de Leuze, Martin-Joseph RASE, fils d’un charpentier, qui avait fait ses études de théologie à Louvain, grâce au soutien financier de son oncle, curé de Hanret.

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Le presbytère est une grosse maison carrée datant du XVIIIème siècle, construite en brique avec linteaux droits de fenêtre en pierre, cinq travées et un seul étage. Le linteau à deux pans de la porte d’entrée porte l’inscription «  Domus Pastoris » et au centre DONO M J RASE.

En 1782, les habitants de Cognelée envoyèrent une pétition à l’archiprêtre pour obtenir un prêtre de façon à ne plus devoir se déplacer pour aller aux offices à Frizet par de mauvais chemins. Le curé Rase fit remarquer que les habitants exagéraient les risques et qu’ils ne risquaient pas plus que les autres paroissiens qui utilisaient les mêmes chemins. Il notait que si la sage-femme était tombée un jour dans le ruisseau en passant le pont avec le nouveau-né dans ses bras, c’est qu’elle avait bu plus que de raison. Les habitants de Cognelée n’eurent pas gain de cause.

En 1794, à la suite des troubles révolutionnaires secouant notre puissant voisin français et conséquemment à la victoire française de Fleurus face aux Autrichiens, la « Belgique » est annexée. Vedrin devient un territoire du département de Sambre-et-Meuse et subit dès lors la vindicte des lois françaises, notamment les lois restrictives au niveau de la pratique du culte.

En 1797, après son refus de prêter serment de haine à la royauté, les Français désaffectèrent la cure : mais Martin-Joseph la racheta et poursuivit son ministère en cachette, les offices étant célébrés dans une petite chapelle actuellement détruite.

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Vestiges de l’ancienne chapelle qui abrita les «  offices interdits » que célébrait l’abbé Rase pour ses ouailles avant le concordat.

En 1801, conséquemment à la signature du Concordat entre Bonaparte et le Saint-Siège, bien que sous conditions, le culte catholique est rétabli. L’abbé Rase s’y rallia et prêta serment ( 1801).

Les paroisses sont réorganisées en fonction de la législation concordataire de 1803-1804, puis de 1807-1808. Napoléon reconnaît les nouvelles circonscriptions paroissiales arrêtées par les évêques, en accord avec les préfets. Attachée au diocèse de Namur, la paroisse Saint-Martin de Frizet est rétablie en 1808. Bien que conservant initialement ses six anciennes dépendances, l’église mère de Frizet va successivement les perdre une à une. Après l’érection en chapellenie en 1821, c’est Warisoulx qui initie le mouvement en 1843. Les autres succursales de Frizet suivent le mouvement : Vedrin en 1844, Champion en 1846, Daussoulx en 1878, Cognelée en 1896 et enfin Saint-Marc en 1897 – cette dernière causant ainsi de facto la disparition définitive de la paroisse même de Frizet dont l’église est d’ailleurs désaffectée en 1900.

L’abbé Rase va occuper son poste pendant près de 50 ans, jusqu’à sa mort en 1829. Une fois qu’il fut installé à Frizet, une grande partie de sa famille le rejoignit et profita de sa fortune et de son influence.

On imagine mal combien ce prêtre marqua le hameau, spécialement au point de vue architectural. Après avoir fait construire le presbytère avec des annexes couvertes de chaume (écurie), grange, appentis, lavoir), son propriétaire lui adjoint, avant 1811, un jardin qui faisait sa fierté. Le ruisseau, des allées d’arbres, des promenades et des bocages l’agrémentaient et une cascade y avait été aménagée. Ce parc couvrait une surface d’environ 3 ha ½ et entourait le cimetière : un chemin charriable le traversait toute la propriété. Suivirent la maison du marguillier, la chapelle Saint-Roch, encore présente, et une chapelle qui cachât les offices interdits par la Révolution Française.

En 1795, l’abbé Rase acheta, pour son propre compte une terre de l’église, située près de celle-ci où il construisit à ses propres dépens, avant 1811, une « école de charité » pour enseigner aux enfants des familles ouvrières de la région. Devant cette école il avait fait semer du gazon jusqu’au ruisseau pour les ébats des enfants. Cette école est la « maison aux arcades », qui ferme un des côtés de la place de l’église.

L’érection du Calvaire de Frizet remonte aux années d’accalmie qui suivirent la grande révolution française. Sous prétexte de restaurer ses libertés ébranlées par la domination autrichienne, la France avait annexé nos provinces, en faisant ainsi une partie de la République une et indivisible. Avec pour notre pays et nos paroissiens des jours bien sombres : suppression des maisons religieuses, persécution générale du clergé, vente des biens ecclésiastiques, églises fermées, croix ôtées, cloches prises partout,…c’est en ces quelques mots qu’un curé wallon contemporain résumait la situation. Lorsque Bonaparte signa le concordat avec le Pape Pie VII et rendit au culte sa liberté, la première préoccupation des prêtres du pays fut de réorganiser la vie paroissiale.

Pour raviver la ferveur chrétienne des anciens jours, Martin-Joseph Rase, curé de Frizet, fit prêcher une mission qui produisit la plus profonde impression sur les foules accourues chaque jour des coins les plus reculés des huit hameaux qui relevaient encore de l’église-mère de Frizet. Et pour perpétuer par un symbole concret le souvenir de cette ferveur populaire, le zélé pasteur fit élever dans les dépendances de son jardin un monument commémoratif. Le calvaire domine une terrasse à laquelle on accédait par quatre gradins d’un mètre de haut, s’étageant en hémicycle devant le monument. A centre d’un des gradins inférieurs avait été aménagée une excavation que le testament du curé appelait «  le sépulcre ». Un auvent protège la croix et le Christ.

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Finalement, en 1827, lorsqu’il fit son testament, le curé était devenu le propriétaire de tout le centre du village. Un village qu’il avait transformé en profondeur.

A la mort du curé, en 1829, une partie de son héritage fut consacrée à la création d’une fondation pour l’éducation des enfants pauvres. Elle comprenait l’école et ses dépendances et incombait à la responsabilité de la fabrique d’église de Frizet avant de passer en 1879 à la commune de Saint-Marc.

Références utilisées:

Bierlaire : Pages d’histoire sur Vedrin – 2014.

R.Delooz : Vedrin-Saint-Marc, Champion, Cognelée et Daussoulx – 2014

Site web de la Paroisse de Warisoulx

Site web de «  l’école de Charité »  de Frizet.

Confluent numéro 51 novembre 1976.